Jeudi
28 novembre
Hier à l’aube, à peine le cessez-le-feu entré
en vigueur, des cortèges de voitures se sont formés un peu partout au Liban
pour prendre la direction du Sud. Les déplacés avaient hâte de rentrer chez eux,
même si leur enthousiasme était mêlé d’appréhension : dans quel état
allaient-ils retrouver leurs maisons ? Allaient-ils seulement les
retrouver, leurs maisons, au milieu des ruines cataclysmiques comme celles de
Nabatiyyeh dont les ravages évoquent les rues de Jabalia et de Beit Lahia ? Dès
cinq heures du matin, l’autoroute reliant Beyrouth à Saïda était encombrée de
véhicules, ainsi que les entrées de Tyr et d’autres agglomérations. À la
loterie de la guerre, il n’y a pas de gagnants, hormis les marchands d’armes.
Ces déplacés ont tous en commun un goût de cendre dans la bouche. Le
traumatisme du 23 septembre restera longtemps gravé dans leur mémoire. Ils vous
en parlent comme d’un cauchemar, décrivant la fuite sous une pluie de bombes,
les villages qui brûlent, les cadavres sur les routes, la fumée noire montant
de partout tel un augure de l’apocalypse. Certains ont perdu des proches, d’autres
ont subi des blessures graves. À quoi s’ajoutent les campements de fortune sur les
trottoirs de Beyrouth avant de trouver un abri, la longue attente suspendus aux
nouvelles, la peur que la guerre s’éternise comme celle de Gaza.
Un grand nombre de déplacés n’ont pas pu passer cette première nuit de paix chez eux, soit parce qu’ils n’ont plus de toit ni de murs pour les abriter, soit parce que leurs maisons, encore debout, sont devenues inhabitables. Ils logeront chez des voisins, des parents ou des amis plus chanceux le temps de réparer leurs habitations. Depuis 1948, la population du Sud a subi d’innombrables invasions, raids, exodes, massacres et autres malheurs en tous genres. Mais cette fois, même si le conflit se conclura en principe par la libération du territoire, le bilan de la catastrophe est très lourd sur tous les plans. On a touché le fond en cet automne 2024. Il faudra du temps, de l’énergie et beaucoup de ressources, morales comme financières, pour remonter à la surface. Toute ma vie aura été ponctuée de guerres ; j’espère qu’en favorisant une solution pacifique au conflit israélo-arabe, les responsables politiques, de la région et du monde, feront le nécessaire pour briser ce cycle interminable de la violence.