Lundi
25 novembre
Un récit parmi des milliers d’autres,
celui de Hussein Moussa, un habitant du Sud âgé de soixante-deux ans. Sa
famille s’était réfugiée à Saïda, mais lui, avait choisi de rester dans son
village de Doueir en se disant qu’il ne craignait rien : il n’y avait ni
combattants ni caches d’armes ni rien de militaire autour de lui. Il se sentait
en sécurité, jusqu’au jour où les raids se sont intensifiés sur Doueir et qu’un
missile est tombé à proximité de sa maison, lézardant les murs et les plafonds.
Hussein s’est résolu à partir, mais plus aucun véhicule ne roulait sur les
routes bombardées. Le seul moyen qui lui restait de fuir était une vieille
bécane dont il se servait de temps en temps pour faire des courses au village. En
toute hâte, il a rassemblé ses boîtes de médicaments et ses documents personnels,
enfourché son vélo et s’est mis à pédaler à perdre haleine sur des kilomètres,
sans s’arrêter, poursuivi par le fracas des bombes, contournant des cratères d’obus,
traversant des paysages apocalyptiques où se succédaient des maisons en
ruines et des bâtiments détruits d’où montaient les fumées noires.
À un moment, épuisé, effrayé par les pilonnages, Hussein Moussa a le pressentiment de sa fin prochaine. Il s’arrête sur le côté et appelle sa famille pour lui faire ses adieux. Puis, dans un ultime sursaut de vie, il joint son ami Najem de Nemayré afin de lui demander de l'aide. Najem ne peut pas lui porter secours et pour cause : sa propre maison vient d’être ciblée par un missile ; il a perdu plusieurs membres de sa famille et il est en train de participer aux fouilles pour retrouver des survivants. Hussein ignore où il a puisé la force de poursuivre son chemin sous les bombes. Il traverse Charqiyyé, Kaouthariyét al-Siyyad, Baysariyyeh. Partout des villages fantômes, des amoncellements de gravats là où s’élevaient des maisons, des écoles, des bâtiments publics. Il pédale ainsi pendant des heures, sans plus oser s’arrêter, même pour un instant, même pour boire ou reprendre son souffle ou appeler les siens, tandis que les avions et les drones transpercent le ciel et que des explosions résonnent de toutes parts. Une seule pensée le hante : arriver sain et sauf à Saïda. Une seule prière : que Dieu l’épargne, ne serait-ce qu’une poignée d’heures, le temps qu’il retrouve ses proches, et après, qu’Allah lui prenne la vie si telle est sa volonté…
Hussein Moussa n’est pas mort. Il vit à présent dans une école à Saïda en attendant de pouvoir rentrer chez lui. D’autres que Hussein, par centaines, par milliers, n’ont pas eu sa chance. La guerre a déjà entraîné la mort de 3768 personnes au Liban. Voilà deux mois et deux jours qu’Israël multiplie les raids meurtriers sans autre résultat que de semer la mort et la ruine : le Hezbollah a réussi à envoyer cent soixante roquettes sur l’État hébreu hier, atteignant les environs de Tel Aviv. On se demande à quel moment Benyamin Netanyahou comprendra enfin que la sécurité d’Israël ne sera vraiment assurée que par les négociations, non les armes. À moins que sa principale préoccupation ne soit pas la sécurité d’Israël, mais son propre destin politique.