Diplômes à vendre

- Je suis journaliste, je voudrais avoir un diplôme de master et de doctorat dans ma spécialité pour enseigner à l’université, combien ça coûte ?

- Pas de problème. Notre contact travaille au bureau du ministre et il peut vous délivrer les diplômes que vous souhaitez. L’année dernière, nous avons obtenu un diplôme de la LAU de Jbeil pour un avocat. Moi-même, je suis titulaire d’un faux doctorat.

- Mais alors, si je me rends à l’université qui m’aura délivré le diplôme, elle me donnera les attestations nécessaires ?

- Vous n’aurez pas besoin de vous rendre sur place. Vous obtiendrez un diplôme par nos soins, cacheté et légalisé, avec trois copies conformes.

[…]

- Et pour les tarifs ?

- Tout dépend du diplôme. On commence à 5000 $. La licence vaut 5000 $, le master 6500 $. Le doctorat, si j’ai bon souvenir, « il » me l’a tarifé la dernière fois à 7300 $. Si vous désirez avoir un diplôme de l’Université américaine, il y a un supplément de 800 $ pour la licence, 1000 $ pour le master et 1300 $ pour le doctorat.

- Est-ce qu’on peut obtenir des diplômes dans toutes les spécialités ?

- Oui, à l’exclusion de la médecine. Si quelqu’un a une licence d’art dentaire, on peut lui délivrer un master. S’il a un master en Esthétique, il aura son doctorat, pas de souci.

- Et pour l’ingénierie ?

- Oui, s’il a sa licence. […] Nos diplômes sont 100 % réguliers et officiels.

[…]

- Vous n’avez jamais vu votre contact au ministère ?

- Non. Il ne laisse personne le voir. Moi, je communique avec lui à travers sa secrétaire. Son identité doit rester secrète parce qu’il travaille au bureau du ministre.


Non, il ne s’agit pas d’une scène de théâtre composée par un dramaturge spécialisé dans la satire sociale. Il ne s’agit pas, non plus, d’un sketch dans une émission de divertissement. L’échange qu’on vient de lire est le verbatim d’une communication téléphonique enregistrée par une journaliste de la chaîne libanaise NTV.

En novembre 2021, le ministère de l’Enseignement supérieur en Irak avait suspendu les inscriptions des étudiants irakiens dans trois universités libanaises (Jinane University, Modern University of Business and Science et Islamic University of Lebanon). Les institutions concernées accueillaient et diplômaient en ligne des centaines d’étudiants irakiens, notamment en master et en doctorat, sans appliquer les normes académiques en vigueur. On avait découvert à l’époque de nombreux cas de plagiat intégral et de travaux effectués par des prête-plume grassement rémunérés. Certaines thèses étaient reprises telles quelles par plusieurs doctorants. En d’autres termes, les étudiants achetaient leurs diplômes, ce qui leur permettait de prétendre à une revalorisation de leur salaire en Irak. Le scandale provoqué par cette affaire aurait pu entraîner un sursaut au ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Il aurait pu décider les responsables libanais à sauver le dernier bastion et l’ultime fierté de notre pays, l’éducation. Il n’en est rien visiblement : ledit ministère continue d’être gangrené par la corruption, comme d’autres ministères libanais.

La nouvelle page annoncée tambour battant par le nouveau régime attend encore son encre et ses auteurs. (31/10/25)